Podcast n°3 – Les entrepreneurs face aux difficultés – Frédéric Visnovsky
Publié le 5 Mars 2025 I Podcast I Rédigée par Juliette Barboux
Ce podcast est dédié aux entrepreneurs et aux dirigeants de petites entreprises ainsi qu’à tous ceux qui s’intéressent à leur quotidien et à leurs enjeux. Pourquoi parler des petites entreprises ? Parce qu’elles représentent 95% des entreprises en France et parce qu’elles font fasse à des défis spécifiques. Du fait de leur petites tailles elles ont souvent une structure plus fragile et leur dirigeant sont absorbé par leur quotidien et leur métier et non pas forcément de formation en gestion ou en finance. Ici nos invités partagent des témoignages, des conseils et des outils concrets pour vous permettre de gagner du temps dans votre apprentissage ou d’éviter certaines erreurs qu’ils ont eux-même commises.
Pour écouter le podcast c’est juste ici : https://smartlink.ausha.co/entrepreneurs-sans-filtre-by-atometrics/les-entrepreneurs-face-aux-difficultes-frederic-visnovsky-hors-serie
Aujourd’hui, je vous propose de faire un épisode un petit peu spécial qui va notamment porter sur la difficulté des entreprises puisque nous accueillons… un invité spécial en la personne de Frédéric Wisnowski, médiateur national du crédit. Frédéric Wisnowski, merci beaucoup d’avoir accepté de participer à ce podcast. Première question, est-ce que vous pouvez vous présenter de manière succincte ?
Frédéric
Bonjour d’abord. Alors effectivement, vous avez mentionné que j’étais médiateur national du crédit. J’exerce aussi une autre fonction à la Banque de France. Je suis en même temps secrétaire général adjoint de l’ACPR, qui est l’autorité qui contrôle les banques. J’ai une longue période dans ce contrôle bancaire où je me suis occupé de réglementation, de contrôle individuel. Et maintenant, je m’occupe du R, résolution, un peu barbare comme terme. C’est en fait la gestion ordonnée des crises bancaires, faire en sorte que les banques et les assureurs soient bien préparés à affronter une crise. Et donc, en parallèle, depuis 2018, je suis médiateur national du crédit. La médiation du crédit est là pour intervenir lorsqu’une entreprise a une difficulté d’accès au crédit bancaire.
Si on se focalise un petit peu sur la médiation, est-ce qu’il y a d’autres facettes dans votre métier de médiateur ou est-ce que c’est vraiment centré sur les difficultés d’accès au crédit par les entreprises ?
Frédéric
En tant que médiateur, j’anime un réseau, puisque la médiation est exercée dans les succursales. On est présent, la Banque de France, dans l’ensemble des départements. et également en Outre-mer. La médiation est exercée opérationnellement dans les départements. Moi j’anime ce réseau et je suis en parallèle président d’un observatoire de financement des entreprises qui réunit à la fois les représentants des entreprises, les organisations patronales, les chambres consulaires, les banques, il y a toutes les grandes banques, la fédération bancaire, le financement participatif. et puis les différents organismes publics, donc la Banque de France, l’INSEE, la Direction Générale du Trésor. L’objectif de cet observatoire, c’est de produire une analyse de la situation des entreprises et de leur financement qui soit partagée entre tous ces membres. On publie régulièrement chaque année un rapport. On a publié le dernier rapport au mois de novembre sur la situation des TPE, PME. Et puis, je suis en même temps vice-président d’un autre observatoire. C’est l’observatoire des délais de paiement qui est un point important puisque les crédits fournisseurs, c’est 800 milliards. C’est deux fois et demi les crédits de trésorerie qui sont accordés par les banques. C’est un sujet de vaste communiquant finalement. Si l’entreprise a un problème vis-à-vis de son financement, de son besoin en fonds de roulement lié au décalage des crédits fournisseurs ou au décalage des crédits clients, l’entreprise va se retourner vers la banque. Donc il y a un lien entre les deux. C’est la raison pour laquelle je suis à la fois des deux côtés de cet aspect, qui permet d’avoir une vision assez large de la situation des entreprises. Derrière, il y a la partie accès au financement au travers de l’analyse qu’on fait dans ces rapports, la partie traitement d’une difficulté, c’est là que la médiation intervient, et puis cette composante importante sur la situation des entreprises, que sont les délais de paiement. Il faut voir que les retards de paiement aujourd’hui, c’est 15 milliards de trésorerie qui manquent pour les plus petites entreprises. Donc c’est 4 milliards pour les TPE et 11 milliards pour les PME. Donc c’est quelque chose de significatif. Et ça, c’est la responsabilité des grandes entreprises du fait qu’elles payent en retard. Donc c’est un point d’attention assez important pour nous.
Oui, c’est ce que j’allais vous dire. C’est des vases communicants, mais là, c’est uniquement la partie entre les grandes entreprises et les petites. Donc, c’est vraiment un manque de trésorerie pour la strata des petites entreprises. Tout à fait.
Frédéric
Alors, même si les petites peuvent aussi avoir des retards de paiement. Et d’ailleurs, ces retards de paiement sur les petites entreprises se sont détériorés en 2023-2024, ce qui est le signe de tension sur les trésoreries. C’est pour ça que ces éléments-là sont importants. Il y a les liens, on parle de trésorerie, je veux dire tous les facteurs d’influence, donc il y a à la fois les facteurs macroéconomiques qui jouent et puis les facteurs de comportement. C’est pour ça que le rôle de médiateur en tant que président de l’Observatoire des financements et vice-président de l’Observatoire des délais de paiement est important pour avoir cette vision large de ce qui peut se passer, les problèmes qui peuvent se poser. Moi, mon rôle, par exemple, en tant que médiateur, je n’interviens pas directement dans les dossiers, très ponctuellement, très marginalement, pour des gros dossiers, mais on est plutôt sollicité par des plus petites structures. C’est aussi de faire le relais avec les pouvoirs publics, avec le ministère de l’économie et donc d’alerter sur un certain nombre d’aspects qui peuvent se poser. Ça a été le cas pendant la période crise Covid, par exemple, sur toutes les questions de PGE. On a mis en place ensuite derrière, justement, pour y répondre, une procédure. pour les restructurer via la médiation, etc. Donc c’est un poste d’observation qui permet de relayer aussi un certain nombre de messages. Et puis il y a les relais qui viennent de ce qui me remonte aussi de mes médiations départementales.
Très clair. Je vous propose de commencer par quelques questions de macroéconomie. Donc vous parliez justement d’une observation du tissu des entreprises, de leur accès à la trésorerie. Est-ce qu’on peut faire un état des lieux, mais vraiment très court, de la santé actuelle des entreprises en France ? On voit qu’il y a une accélération, en tout cas il y a eu une accélération assez forte des défaillances. Est-ce que c’est possible, en quelques mots, de décrire la situation dans laquelle on est ?
Frédéric
Alors, d’un point de vue d’abord macroéconomique, il y a un point positif, c’est la réduction de l’inflation. On est sur une trajectoire de retour vers les 2%, en dessous de 2%, puisqu’on est à 1,2, 1,3. 3, le dernier chiffre d’inflation. Ce qui signifie que derrière, il y a des baisses de taux qui ont déjà commencé. Le gouverneur s’est exprimé récemment un objectif d’aller vers 2% de taux de la BCE. Donc on est aujourd’hui à 3, passé à 2. Donc derrière, bien évidemment, ça va réduire le coût de financement des entreprises. Ça, c’est le côté positif. Le côté moins positif, les deux côtés moins positifs, c’est que on est sur une prévision de croissance de 0,9% en 2024. Ce n’est pas une récession, mais c’est une croissance faible. Reprise progressive en 2025. Et autre deuxième élément négatif, c’est qu’on a eu une baisse de l’investissement en 2024 et qui va se poursuivre, a priori de moindre ampleur, on espère, en 2025. Ça, c’est, je dirais, l’approche macroéconomique qui a ses éléments positifs et négatifs. Quand on regarde la situation des entreprises, c’est le rapport qu’on a produit en novembre de l’Observatoire, sur les comptes 2023, je parle des TPE, PME. qui est notre centre d’intérêt dans le cadre des travaux de cet observatoire, on a des entreprises qui sont en meilleure situation financière fin 2023 qu’elles n’étaient avant la crise Covid. Que ce soit en termes d’évolution de chiffre d’affaires, de niveau d’endettement, de niveau de rentabilité, etc. Globalement, ça ne veut pas dire bien évidemment que derrière, il n’y a pas un certain nombre d’entreprises qui peuvent avoir des difficultés. On voit par contre… C’est ce qu’on disait dans le rapport sur des données à fin septembre, parce qu’on utilise à la fois les données de bilan dont on dispose, et puis toute une série de baromètres, d’enquêtes qui peuvent être réalisées. On voit que l’année 2024, en lien avec la réduction de croissance, s’est tendue pour les entreprises. Je signalais tout à l’heure la dérive des délais de paiement et le fait qu’il y avait des trésoreries qui se tendent dans les entreprises. On le voit bien. Sur les plus petites entreprises, on voit bien que derrière la croissance de 1,1% en 2024, en fait, il y a des baisses de chiffre d’affaires pour les plus petites. C’est-à-dire que la croissance, elle est tirée plutôt par des entreprises de taille plus importante. Donc les plus petites entreprises, les TPE, PME, ont souffert en 2024, vraisemblablement continueront à souffrir en 2025. Même si aujourd’hui, quand on regarde, c’est ce qu’on regarde aussi sur l’accès au financement, Il n’y a pas de problème général d’accès au financement. On parlera peut-être de l’activité plus précise de la médiation, mais on est peu sollicité. C’est parce qu’aussi, il y a moins de demandes de crédit. La demande de crédit, aujourd’hui, est largement tirée par les crédits d’investissement, qui viennent plutôt des entreprises de taille plus importante. Les plus petites, au contraire, ont plutôt ralenti leurs investissements. Il y a moins de demandes de crédit de trésorerie. parce que l’activité étant moins forte, en plus on est dans la phase de remboursement des PGE. Il n’y a pas de tension, je dirais, en termes d’accès au crédit. Mais il y a moins de demandes, ce qui est vrai.
Peut-être juste une précision sur ce point. Vous évoquez le fait qu’on a toujours accès au crédit quand on est une petite entreprise, mais qu’il y a moins de demandes. Donc ce qu’on mesure, c’est le taux de refus des crédits qui sont demandés, c’est ça ?
Frédéric
Tout à fait. C’est une statistique qu’on publie tous les trimestres. C’est le taux de satisfaction à une demande de crédit. Aujourd’hui, sur les crédits de trésorerie, on est à environ 80%. L’entreprise obtient à plus de 75% ce qu’elle a demandé. Ce n’est pas forcément la totalité. Et sur les crédits d’investissement, on est à plus de 90%. D’accord. Donc on est dans quelque chose qui baisse un peu mais qui reste tout à fait logique. Il n’y a pas de droit au crédit. Donc c’est aussi normal qu’à un moment donné, la banque et elle-même une entreprise, elle n’accepte pas forcément un crédit. Je rappelle toujours, je remets ma casquette autorité de contrôle, le banquier prête l’argent des déposants. Et donc c’est normal qu’il se préoccupe de la capacité que va avoir une entreprise ou un particulier lorsque la banque va lui prêter de rembourser cet argent. Donc c’est normal que… Tout le monde n’a pas accès au crédit, mais cet accès est très large. On le suit justement au travers de ces indicateurs de la Banque de France, au travers de baromètres. Il y a BPI qui sort régulièrement, qui a sorti récemment son enquête de conjoncture. Et je le vois aussi en regardant mes chiffres de médiation, puisque la médiation intervient s’il y a un refus de crédit. Nous, on est peu sollicité. Soit les gens ne nous connaissent pas, ce qui est possible. On essaye de communiquer au maximum pour que… Les entreprises nous connaissent, mais c’est aussi une traduction du fait que l’accès au crédit existe. Il y a une voie de recours par la médiation. Elle est peu sollicitée, donc pour moi, c’est un signe positif. Moins mes médiateurs départementaux ont de travail, plus je suis satisfait, puisque ça montre que les banques ont répondu à la demande.
Et sur le nombre des demandes de crédit qui baissent en valeur absolue ?
Frédéric
Ça augmente, on a un taux de croissance, les derniers chiffres, on doit être sur le crédit bancaire à 1,5-2%. Donc on a un taux de croissance du crédit qui est supérieur au taux de croissance de l’activité économique. Avec cette différence entre les crédits d’investissement qui augmentent plus et les crédits de trésorerie qui baissent. Mais les crédits de trésorerie, comme je l’ai dit, c’est à la fois… parce qu’on est dans la phase de remboursement des prêts garantis et parce qu’il y a moins de besoin de financement de trésorerie dès lors qu’on a une activité qui tourne moins vite qu’avant.
Très clair. Je vous propose de nous focaliser un petit peu plus sur les difficultés. Pour être concret, et notamment parce que ce podcast vise vraiment les créateurs ou les dirigeants d’entreprises qui peuvent se trouver dans cette situation de difficulté, déjà, quand je suis dirigeant, Concrètement, quand est-ce que je sais que je suis en difficulté ou comment est-ce que je peux le voir ? Quels sont les indicateurs qui doivent m’alerter sur le fait que je suis ou je vais être en difficulté ?
Frédéric
Ce qui est important lorsqu’on parle de difficulté, c’est de faire attention à ne pas penser que la difficulté, c’est au moment où j’ai un problème de trésorerie. Ça se traduit à un moment donné, une difficulté, à un moment donné, je vais avoir un problème de trésorerie. Donc déjà, il faut avoir les outils qui permettent de suivre l’évolution de la trésorerie. Ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas pour les plus petites structures, principalement, et pas uniquement d’ailleurs. Mais en réalité, le problème, souvent, il n’est pas là. Le problème, il va venir, j’ai un problème avec un client ou avec un fournisseur, j’ai un désaccord avec mon associé, j’ai des problèmes sociaux. Il y a un certain nombre d’événements qui créent une difficulté. Si elle n’est pas prise, si elle n’est pas traitée à temps, elle va… avoir son effet progressivement sur l’activité va se traduire par un problème de trésorerie. Ce qui est important, c’est de pouvoir identifier ces problèmes. Et là, il y a des outils qui sont à disposition. Vous avez des outils de diagnostic à la fois financiers. La Banque de France propose des outils qui sont gratuits, disponibles en ligne. Le chef d’entreprise peut faire ça tout seul. Il n’a pas besoin de parler à quelqu’un. Il peut le faire dans son bureau. Donc, nous, notre produit, c’est un produit qui analyse le bilan sur trois exercices, donc qui donne des indicateurs financiers. Vous avez des outils de la chambre de commerce, des chambres des métiers qui sont plus qualitatifs. Donc, c’est une série de questions qui permettent, il y a également les greffes des tribunaux, les experts comptables aussi ont des outils. Donc, c’est une forme de questions qualitatives qui permettent de dire, attention, il y a une difficulté, etc., faites attention. Parce qu’on voit que le problème des difficultés d’entreprise, c’est bien souvent, malheureusement, le chef d’entreprise ne les a pas identifiés à temps. Et plus il intervient, il agit tard, plus il sera difficile de traiter la situation. Parce que si elle est détériorée, malheureusement, il n’y a pas forcément des solutions adaptées.
Alors justement, sur l’identification de ces difficultés, ou du moins des signaux précurseurs du fait qu’on va avoir un problème de trésorerie, donc de, comment dire, de tronc cessation de paiement, ça se voit effectivement dans les indicateurs financiers. Beaucoup d’outils quantitatifs, les outils financiers, sont basés sur des données annuelles. Et c’est vrai qu’entre la parution d’un bilan et le moment où on est, il peut y avoir un décalage. Il y a aussi des outils, je le dis juste pour les dirigeants qui nous écoutent, il y a aussi des outils qui sont un peu plus dynamiques, qui sont à mon avis complémentaires, parce qu’il faut avoir une analyse en prenant du recul sur plusieurs exercices. Mais c’est vrai que le pilotage de sa trésorerie et puis des indicateurs un peu précurseurs peut maintenant se faire aussi au fil de l’eau.
Frédéric
Non mais ils doivent se faire, vous avez raison. Le bilan est un élément, je mentionnais notre outil Banque de France, il est fondé sur le bilan. C’est un outil qui permet de faire une… une analyse, un bilan de la situation de l’entreprise au travers de ces ratios financiers. Mais après, ce qui est important, c’est effectivement la visibilité que le chef d’entreprise va avoir sur les six mois ou l’année qui vient. Donc ça, c’est sa trésorerie. Donc ça, c’est un plan de trésorerie. Ça, ça se met à jour. Et avec peu de lignes, finalement, une petite entreprise, je dirais, il n’y aura pas, je dirais, ses achats. Il va y avoir les loyers, les charges d’emprunt, les recettes, etc. Enfin, c’est pas… Mais c’est un outil qui est indispensable parce qu’il ne suffit pas de suivre son chiffre d’affaires. Derrière, il faut voir qu’est-ce qui rentre et qu’est-ce qui sort. Il y a les délais de règlement des clients et les délais de règlement des fournisseurs. Donc, il y a des décalages. Ce sont ces tableaux et qui sont accessibles en ligne. Il y a un site de la Fédération bancaire, les clés de la banque. Nous-mêmes, on a un site pour les entreprises, les questions d’entrepreneurs, où il y a des modèles types de ces tableaux de bord. Et les entreprises peuvent se faire aider, accompagnées également par leurs experts comptables qui peuvent leur produire ces documents et qui permettent vraiment d’avoir une visibilité sur les mois qui viennent pour l’entreprise. Et donc, identifier sur quoi il faut agir par rapport à son problème. Ça va être soit une réduction des dépenses quand c’est possible, recherche de nouveaux marchés, ou une solution financée, le déficit de trésorerie, donc aller voir sa banque. pour tenir sur un découvert, sur un crédit de trésorerie, etc.
Ok, alors on a fait le point sur comment est-ce qu’on voit qu’on est en difficulté ou qu’on va l’être. Donc maintenant, on est en difficulté. Il y a beaucoup d’acteurs qui sont disponibles. Et c’est vrai que ce n’est pas forcément facile pour le chef d’entreprise de se retrouver, en fait, dans tous les dispositifs de diagnostic qu’on a évoqués. Il y a des qualitatifs, quantitatifs, mais aussi d’accompagnement. Alors concrètement, est-ce qu’on peut essayer de simplifier un peu les choses ? Voilà, je suis dirigeant d’une petite entreprise, un commerce par exemple. Je vois que je vais être en difficulté parce que ma marge s’est réduite, ma trésorerie commence à diminuer. Vers qui est-ce que je peux me tourner concrètement et pour quel thème en fait ? Sur quelle action ?
Frédéric
Il y a effectivement plusieurs choses. Je reviendrai d’ailleurs sur le fait qu’il y ait beaucoup d’acteurs. C’est justement un sujet de préoccupation. Après, concrètement, l’entreprise a deux partenaires principaux. Elle a son expert comptable. Malheureusement, souvent, l’expert comptable, il n’est sollicité que pour faire le bilan, mais c’est quelqu’un qui est là aussi pour accompagner l’entreprise. Donc, il est important que le chef d’entreprise, il échange avec son expert comptable, justement, à partir de son tableau prévisionnel de trésorerie. Puis, l’autre partenaire, c’est le banquier. Le banquier, c’est lui qui voit le fonctionnement du compte, c’est lui qui va pouvoir intervenir. Après, il y a la difficulté qu’il ne sent pas forcément la volonté de donner des conseils à l’entreprise. Ce qu’on a essayé de faire dans l’accompagnement des entreprises, c’est de créer des points d’entrée. C’est-à-dire qu’il y a des sites qui existent. Il y a les sites entreprises et services publics qui donnent un certain nombre d’informations. Vous avez tel problème, contactez telle structure. Après, il y a l’autre voie qui a été mise en place en sortie de Covid. C’est des conseillers départementaux qui s’appelaient à la sortie de crise, qui maintenant s’appellent… conseillers départementaux aux entreprises en difficulté, qui sont le point d’entrée des services de l’État. Et donc la liste est disponible sur Internet, sur le site du ministère, avec le numéro de téléphone, portable, etc. de ces personnes-là. Et donc ce sont des conseillers qui sont là pour que les chefs d’entreprise les sollicitent. Et là encore, en fonction du problème, on peut dire que ce sujet peut être traité par la médiation du crédit, si c’est un problème avec votre banque. Si la difficulté est plus grave, ça va être le tribunal de… commerce parce qu’il faut soit une procédure de conciliation, soit une procédure judiciaire, etc. Donc identifier tous les acteurs. Alors ça, ce système, il a l’avantage d’offrir aux chefs d’entreprise un point d’entrée unique. sur un site ou sur une personne, il ne supprime pas la difficulté que l’on a aujourd’hui lorsqu’on regarde les questions d’accompagnement, qui est que le chef d’entreprise doit faire la démarche. C’est-à-dire qu’il faut déjà que le chef d’entreprise ait identifié qu’il y a un problème. Or, ce que le voie, je mène actuellement une mission qui m’a été confiée avec le médiateur des entreprises par Olivia Grégoire, l’ancienne ministre des PME, pour mieux faire connaître les dispositifs. On voit que les chefs d’entreprise, d’abord, ils ne viennent pas à nos réunions parce qu’ils travaillent, mais parce qu’ils n’ont pas le temps non plus. Et donc, face à cette difficulté, les dispositifs ne marchent pas forcément très bien, puisque le chef d’entreprise n’a pas le temps, il ne sait pas où aller, il est dans le déni. Et donc, en fait, il faut qu’on repense très certainement nos dispositifs en inversant la logique, en étant dans une logique où, à partir du moment, dès la création d’ailleurs, Quand on parle de difficultés d’entreprise, on parle d’outils. En fait, ces outils, il faut les avoir dès qu’on crée l’entreprise. Les tableaux de bord, le prévisionnel de trésorerie, etc. Et donc, il faut qu’on ait un système d’accompagnement où à chaque étape, finalement, de la vie de l’entreprise, on alerte le chef d’entreprise. C’est-à-dire que quand il va créer, on va lui dire « Ah, pensez bien à vous doter d’un tableau de bord, pensez bien à discuter avec votre expert comptable, pensez à voir votre banquier régulièrement. » Lorsqu’il va y avoir un impayé de la part de sa banque, la banque devrait l’alerter. « Ah, vous avez peut-être un problème, vous pouvez vous faire accompagner par tel ou tel réseau s’il ne dépose pas ses comptes. » Donc à chaque fois qu’il y a un événement, lorsqu’il y a un incident impayé fiscal et social aussi, à chaque événement finalement, aller devant du chef d’entreprise. Après, ça restera toujours de sa responsabilité, bien évidemment, de se saisir des dispositifs. Mais ce que l’on constate, et là je fais un tour de France, Dans le cadre de cette mission, on a tenu une vingtaine de réunions. On voit que les gens ne les connaissent pas, ces dispositifs. Il faut vraiment qu’on soit plus proactif qu’il y a des chefs d’entreprise.
Ok. Ça me semble être une bonne piste, en effet, parce que quand on creuse, on voit qu’il y a beaucoup de choses. Mais c’est vrai qu’il faut faire l’effort de le faire. Il faut avoir accepté qu’on est en difficulté.
Frédéric
Il faut avoir le temps. Il faut avoir le temps. Je vous prenais, si je laisse de côté les auto-entrepreneurs, il y en a 600 000 qui se créent chaque année depuis trois ans. Sur les TPE, 60% des très petites entreprises ont moins de deux salariés. C’est le chef d’entreprise qui fait tout, toute cette partie-là. Ou alors il a un conjoint, sa femme ou son mari, c’est le chef d’entreprise, un homme ou une femme, ou ses enfants éventuellement qui vont faire ça. Mais lui n’aura pas nécessairement le temps. Donc il y a un vrai sujet d’accès à l’information et ensuite de capacité à le faire. C’est ça qu’il faut qu’on arrive à traiter, surtout. Comme je le dis, sur les plus petites entreprises, bien évidemment. Si l’entreprise est grande, elle a des moyens, elle va avoir un directeur financier. Enfin bon, elle n’a pas ces difficultés-là.
Les recours quand on est en difficulté
Ok, alors, donc, quelles sont les différentes étapes ou les recours possibles quand on est en difficulté ? Alors, il y a une partie amiable et puis une partie plus judiciaire. Est-ce que vous pouvez simplement rebalayer un peu ces différentes étapes ou types de recours ?
Frédéric
Beaucoup plus, en réalité. C’est la pédagogie que j’essaye de faire. Aujourd’hui, quand on parle des faillances d’entreprises, on parle procédure collective, on parle des 65 000. En réalité, il faudrait beaucoup plus parler des procédures préventives, qui sont insuffisantes en nombre, alors qu’elles sont efficaces, comme je le disais. Et puis, il y a effectivement… deux choses dont on parle beaucoup moins. La première, c’est qu’il y a des arrêts volontaires d’activité, donc des entreprises qui décident, des chefs d’entreprise, parce qu’ils sont en règle de leur paiement de dette, bien évidemment, mais qui décident d’arrêter. Après, il peut y avoir différentes raisons, mais ça, c’est trois fois plus que les défaillances. En 2024, c’est 160 000 arrêts volontaires d’activité, donc des entreprises qui cessent. Derrière, il peut y avoir d’autres créations. Et l’autre point dont on ne parle pas et qu’on analyse dans notre rapport de l’Observatoire, c’est que vous avez 20% des très petites entreprises qui sont en capitaux propres négatifs et 10% de PME. Donc ça veut dire des entreprises qui, de manière régulière, ne dégagent pas le résultat suffisant pour vivre normalement. Vous aviez aussi un sondage de la CPME qui mentionnait, mais ça doit être à peu près les mêmes, vous aviez 20% de dirigeants qui gagnaient moins que le SMIC. Donc ça, ce sont des entreprises qui sont fragiles. qui sont potentiellement en difficulté. Et en fait, ce qui est gênant dans toutes les analyses qui peuvent être faites, c’est que difficulté égale procédure collective, alors qu’en fait, difficulté, c’est beaucoup plus large. Si je prends 160 000 radiations volontaires chaque année, 65 000 défaillances, 9 000 procédures préventives, on voit que le problème, il est sur 300 000 entreprises et non pas sur 65. Et donc l’accompagnement… Tous les dispositifs d’aide qu’il faut imaginer doivent s’adresser à ces entreprises aussi, et pas simplement à celles qui sont défaillantes.
Ok, très clair. Toujours pareil, on se met dans la peau du chef d’entreprise. Est-ce qu’elles ont un coût et quel est le coût de ces différents types de procédures ? C’est quelque chose auquel on ne pense pas forcément, mais j’imagine que s’engager dans une procédure collective, ça nécessite quand même… un certain niveau de coût et donc de trésorerie avant de s’y engager. Est-ce qu’il y a un moment où on n’a plus les moyens de le faire ? Et puis pareil peut-être pour les procédures un peu plus en amont ou amiables ?
Frédéric
Alors si on commence par la médiation, là c’est gratuit. Donc là il n’y a pas de coût, c’est un service public, que ce soit la médiation du crédit ou la médiation des entreprises. Donc là il n’y a pas de coût pour l’entreprise, c’est un service public. Après effectivement lorsqu’on rentre dans les procédures préventives collectives, on a recours à des administrateurs judiciaires, pour des plus grosses structures, ils vont aussi avoir des avocats, donc là il y a un coût effectivement. Le coût est variable, il n’y a pas de barème, enfin je crois qu’il y a des barèmes qui sont publiés, je ne les ai pas en tête, mais je crois que les administrateurs judiciaires publient ou l’institut des… Je ne sais plus comment ça peut être l’IFPPC, je ne sais plus quel est son sigle, des praticiens des procédures collectives, publient des barèmes. Donc c’est variable, mais c’est vrai qu’on est dans des ordres de grandeur, ça va être 10 000, 20 000, 30 000 euros, ça peut être beaucoup plus si c’est des gros de structure. Donc il y a effectivement un coût qui va être pris bien évidemment sur l’entreprise. Mais je veux dire, ça c’est le prix à payer de la solution qui va être trouvée, bien évidemment.
Il y a une question qu’on a eue plusieurs fois, c’est est-ce que le dirigeant peut faire confiance à un mandataire judiciaire pour favoriser l’intérêt de son entreprise ? En fait, ce qu’il faut voir, c’est qu’il y a un rapport qui est très particulier entre un chef d’entreprise qui souvent est créateur ou à l’origine de la création de son entreprise, et puis l’entreprise qu’il a créée. Et donc, c’est un sujet de stress et d’interrogation qui…
Frédéric
Mais c’est forcément… C’est d’ailleurs pour ça qu’il y avait aussi un rapport qui avait été demandé par Olivier de Grégoire, qui a été remis récemment par Hélène Bourboulot sur comment traiter l’échec. Effectivement, un chef d’entreprise, surtout s’il a l’origine de la création, ou même s’il a repris, il est attaché à son entreprise, il est attaché à ses salariés. Donc effectivement, lorsqu’il rencontre des difficultés, c’est pour ça que souvent il va être dans le déni. C’est aussi sa vie, une grande partie de sa vie. Donc la difficulté, c’est effectivement de faire confiance. Mais les mandataires, les administrateurs sont des professionnels qui sont là pour trouver une solution aux bénéfices de l’entreprise et des emplois de l’entreprise. C’est pour ça qu’il est important qu’il y ait une relation de confiance qui s’établisse entre le chef d’entreprise et le mandataire, l’administrateur. Mais vraiment, il est là pour trouver la solution.
Une autre question, très pratique, qui concerne cette fois la médiation. Il y a un certain stress sur si je lance une procédure de médiation, Qu’est-ce qui va se passer ? Est-ce que ma note va être dégradée ? C’est des choses sur lesquelles je pense que vous avez déjà dû intervenir ou donner des explications plusieurs fois. Donc déjà, est-ce que la médiation, c’est confidentiel ?
Frédéric
C’est gratuit, comme je l’ai dit, et c’est confidentiel. Après, le stress vient déjà, ce que j’entends régulièrement, c’est « je ne vais pas saisir la médiation parce que je vais être mal vu de mon banquier » . En fait, c’est un très mauvais argument. Parce que si vous êtes obligé de venir à la médiation, c’est parce que vous avez un problème avec votre banquier. Votre banquier vous a refusé votre crédit ou il a réduit votre crédit existant. Donc, si vous ne faites rien, de toute façon, vous restez dans cette situation, vous n’avez pas votre crédit. Alors, soit vous n’en avez pas besoin, bon, c’est quand même très bien, mais sinon, vous avez un problème. La médiation, elle existe depuis 2009. Donc, elle est parfaitement connue, parfaitement acceptée par les banquiers. Et dans 65% des cas, où on est saisi, il y a un accord qui est trouvé. Donc c’est un dispositif qui marche. Donc les chefs d’entreprise, il n’y a absolument aucun intérêt à se dire je ne vais pas saisir la médiation parce que je vais être mal vu. Après la cotation. La cotation, il y a une barrière, une muraille de Chine au sein de la Banque de France entre la médiation et ceux qui font la cotation. C’est-à-dire que quand on ouvre une médiation, c’est confidentiel et de toute façon, ça peut être les personnes, c’est dans les mêmes locaux. Mais on gèle la cotation. C’est-à-dire que la cotation, pendant la durée de la médiation, elle ne peut pas être modifiée. Après, une fois que la médiation est terminée, effectivement, celui qui cote, il va coter. Si la médiation a réussi, ça veut dire qu’il y a une solution qui a été trouvée, la situation de l’entreprise est meilleure. Si, évidemment, il y a eu un échec, ça veut dire que la situation de l’entreprise n’est pas très bonne, donc elle peut éventuellement être dégradée. Mais en tous les cas, pendant la durée de la médiation… il n’y a pas de dégradation de la cotation. De la même façon, d’ailleurs, ça a été tranché à l’été dernier par la Cour de cassation, les conciliations sont également confidentielles. Il y a certaines banques qui avaient l’habitude de déclarer ce qu’on appelle le défaut à la Banque de France. C’est-à-dire que lorsqu’elles pensent qu’il y a un problème, et donc certaines banques, dès qu’il y avait une ouverture d’une procédure de conciliation, elles déclaraient le défaut à la Banque de France. Ce qui nous obligeait, nous, à dégrader la cote derrière quand on a une déclaration de défaut. Et ça, la Cour de cassation a rappelé que ce n’était pas possible. C’est-à-dire que le fait simplement d’une ouverture d’une procédure de conciliation, comme une ouverture d’une médiation, n’est pas un motif pour la banque de déclarer le défaut. Parce que ces procédures sont confidentielles. La confidentialité l’emporte sur d’autres obligations que les banques peuvent avoir.
Très clair aussi. Est-ce qu’on peut… expliquer en quelques mots, parce que j’imagine que c’est une méthodologie complexe, les intrants qui jouent dans la fixation d’une note, dans la cotation justement Banque de France ?
Frédéric
La Banque de France, nous on appelle ça cotation, c’est l’équivalent de notation des agences, on est d’ailleurs une agence reconnue et donc toutes les agences, tous ceux qui notent, nous la différence simplement Banque de France c’est qu’on fait notre note d’office, alors que les agences c’est l’entreprise qui demande. avoir une dette notée. Mais ensuite, les méthodologies sont équivalentes. Elles sont fondées à la fois sur l’analyse des indicateurs financiers, la solvabilité, la liquidité, la rentabilité. Nous, on cote 300 000 entreprises par an, un peu plus, et on l’accompagne, pour les entreprises les plus sensibles, d’entretiens et de questionnaires. Donc on fait à peu près 40 000, 50 000 questionnaires où on va approfondir les éléments. Il y a des dirigeants qu’on rencontre aussi. On ajoute à l’analyse quantitative des données financières une approche plus qualitative. C’est la combinaison des deux qui aboutit à la cotation finale, qui est revue chaque année, qui peut être revue à un moment donné. Quelquefois, ça nous arrive où le chef d’entreprise nous contacte en disant qu’il y a des éléments nouveaux qui justifient que la cotation, pas gravement, il n’y a pas de doute, mais si c’est dans un sens défavorable. Mais s’il y a des éléments nouveaux qui justifient une amélioration de la cotation, c’est quelque chose qu’on fait aussi en cours d’année. C’est plus rare, mais ça peut exister.
Et quel est le seuil à partir duquel la notation est réalisée ?
Frédéric
Alors on a changé, on cotait les entreprises à partir de 750 000 euros de chiffre d’affaires. Et on n’avait pas relevé de seuil depuis je ne sais plus combien d’années avec l’inflation. Et donc là, depuis le mois de janvier, on est passé à 1,25 million. D’accord. Mais en fait, ça ne va pas fondamentalement changer le nombre d’entreprises que l’on cote en réalité.
Très clair. Quelques questions un peu plus macro et puis après, je vous demanderai des conseils pour justement les dirigeants, les entrepreneurs. D’abord, des petites questions qui sont revenues au travers des… des entretiens qu’on a déjà eu avec d’autres gérants d’entreprise dans ce podcast. Comment est-ce que la France s’en sort par rapport à ses voisins ? C’est une question qui revient souvent, on aime bien se comparer. Donc, comment elle s’en sort ? Est-ce que le niveau de difficulté est sensiblement équivalent dans le reste des pays européens ou de l’Europe occidentale, si on veut réduire un peu le champ ? Est-ce que c’est des choses sur lesquelles vous avez des statistiques ?
Frédéric
trouver dans les autres pays européens. C’est pour ça qu’on a des procédures efficaces, c’est toujours un petit peu embêtant de voir qu’on a des procédures efficaces et qu’elles ne sont pas assez utilisées. Mais par contre, je n’ai pas en tête en tous les cas de statistiques. Il y a des comparaisons sur les défaillances, il y a des comparaisons qui existent. Mais bon, après, c’est toujours difficile parce que les bases statistiques, il y a de toute façon une augmentation dans tous les pays des défaillances, c’est très clair. Je parlais des délais de paiement, on a aussi des comparaisons. On est meilleur que la moyenne européenne, même si la détérioration actuelle fait qu’on se rapproche. On est moins bien par contre, on est à 14 jours de retard, là où l’Allemagne est à 5-6, les Pays-Bas à 3-4. L’Italie doit être au-dessus par contre. L’Italie est au-dessus, oui tout à fait. L’Italie doit être à 16-17 jours, l’Espagne aussi est au-dessus. Il y a des éléments, je dirais, favorables. J’évoquais tout à l’heure la croissance économique. On n’est pas en récession. L’Allemagne est en récession. La France a une faible croissance, mais on n’est pas en récession. Donc, il y a des éléments positifs, favorables. On a un tissu d’accompagnement qui, je pense, c’est… Là aussi, c’est difficile de faire des comparaisons, mais je le vois dans le Tour de France que je suis en train d’effectuer. beaucoup d’acteurs qui sont parfaitement mobilisés, qui ont les outils. Après, on a cette difficulté que les autres pays européens doivent rencontrer. Mais nous, notre difficulté, elle est aussi liée justement au fait qu’on a beaucoup de très petites structures. Et donc, c’est beaucoup plus difficile de les toucher aussi. Donc une grande partie de nos difficultés en fait tiennent au problème de taille. C’est d’ailleurs pour ça que le gouvernement a mis en place ce qu’on appelle un programme étincelle pour faire en sorte d’accompagner de manière spécifique un certain nombre de PME pour qu’elles deviennent des entreprises de taille intermédiaire. Parce que derrière ça développe la sous-traitance, ça développe l’activité, ça développe l’exportation etc. C’est pas le commerçant au coin de la rue qui va exporter, lui va servir l’économie locale. Si on veut avoir un développement économique poussé par nos entreprises, qui sont la source de notre développement économique, au-delà du service qui est fait en proximité par ces entreprises, il faut aussi qu’on ait des entreprises de taille plus importante. Ça pose des tas de questions derrière. Le projet de loi simplification, à un moment donné, il avait été envisagé d’agir sur les seuils, qui sont aussi des freins. Finalement, ça n’a pas été retenu. C’est vrai que c’est un frein. Quand vous avez une entreprise qui a neuf salariés, et qui dit « si je passe à onze, je vais avoir telle ou telle contrainte » , ils risquent de préférer… J’étais l’autre jour dans le cadre du Tour de France dans le Nord, et je discutais avec des chefs d’entreprise qui avaient connu des difficultés. Ils disaient « la solution est simple, il ne faut pas travailler en France, et il ne faut pas exporter » . On est là pour aider les entreprises françaises, mais c’est quand même aussi le signe qu’on est… On est dans un environnement réglementaire, structurel, qui n’est pas toujours favorable, même si ça s’est amélioré au cours des dernières années, qui n’était pas forcément favorable aux entreprises. J’évoquais le poids des impôts, c’est un sujet récurrent, même si ça a baissé. On reste structurellement avec un poids des impôts qui est supérieur pour les entreprises françaises par rapport aux grands pays européens.
Donc c’est un peu deux phénomènes, c’est difficile toujours de distinguer quelle est la poule et quelle est l’oeuf, mais ce que je comprends c’est que notre empreinte sectorielle c’est quand même plutôt plus de services et moins d’industrie qu’ailleurs, donc plutôt des entreprises de plus petite taille, aussi des contraintes, les contraintes font sûrement que c’est plus difficile en France de développer des activités de type industriel qu’ailleurs, ce qui du coup,
Frédéric
voilà, quand il y a des… Tout est lié, et puis c’est quelque chose qui prend du temps, on le voit bien. Il faut réindustrialiser, autant on peut facilement créer un commerce de proximité, autant créer une activité industrielle, ça prend plus de temps. C’est vrai que c’est quelque chose de lent, mais on voit bien que ces différences structurelles jouent sur notre activité économique. On a un déficit commercial, c’est normal qu’on ait un déficit commercial si on n’a pas des entreprises qui sont en mesure d’exporter. Si vous avez beaucoup de commerçants artisans, c’est très bien. Ce n’est pas eux qui exportent. Et puis, vous avez aussi des évolutions de filières, de structures, qui fait qu’il y a des activités qui fonctionnent moins. Il y a plein d’aspects, je dirais, de politique économique, de politique publique derrière, qui sont effectivement importantes pour accompagner les entreprises. Et puis, l’autre point important, c’est la visibilité et la confiance. On le voit bien. Nous, au niveau de la Banque centrale, on est beaucoup intervenu en termes d’anticipation d’inflation pour expliquer qu’on va revenir 2%. Et donc la phase d’augmentation des taux, elle n’était que temporaire. Et donc on avait mis en place d’ailleurs un suivi statistique des anticipations des chefs d’entreprise et des ménages aussi, pour vérifier que c’était bien leur perception. Et c’est une chose qui a bien fonctionné. Donc on agit quand on augmente les taux d’intérêt, il y a l’effet mécanique. Mais on essaye aussi d’agir sur l’anticipation. Là, c’est pareil, quand on voit les baisses sur l’investissement, c’est derrière un problème de confiance. Si le chef d’entreprise ne sait pas quel va être le poids de ses impôts, quel va être l’environnement en 2025, il dit « je vais attendre un petit peu, j’attends de voir » . Donc la confiance, la lisibilité, la perspective est quelque chose qui est important pour le chef d’entreprise. C’est quand même les entreprises qui font tourner notre activité économique, les salariés de ces entreprises.
Merci. Une dernière question un peu particulière qui a été posée. Est-ce que l’impact d’une guerre sur l’économie française est simulé ou imaginé par les instances du pays ? et notamment son impact sur le fonctionnement des entreprises, l’accès au crédit, la façon dont on fonctionne dans ce type de…
Frédéric
Je n’ai pas… ça existe peut-être, je n’ai pas de connaissances. Après, ce qu’on fait, au niveau de la Banque de France, nous on fait des prévisions macroéconomiques, donc on intègre… je n’ai pas connaissances, je ne pense pas qu’on… En tous les cas, au niveau de la Banque de France, on a un scénario en disant une hypothèse de guerre. On ne travaille pas comme ça, on intègre les éléments. Quand il y a eu la guerre en Ukraine, bien évidemment, on a intégré cet élément-là dans nos provisions macroéconomiques. Après, il y a peut-être des services de l’État qui font des scénarios, mais là, je les ignore.
Les conseils pour entreprendre
Merci. Alors, pour terminer sur quelque chose de plus positif, est-ce qu’il y a des conseils, au-delà de ceux que vous avez déjà donnés, qui vous viennent en tête pour les créateurs ou les gérants d’entreprises ?
Frédéric
Le conseil, c’est celui qu’on véhicule dans le cadre de la mission que j’évoquais. On a publié ce qu’on appelle une boîte à outils qui est fondée sur trois idées simples, qui regroupent derrière les systèmes. C’est l’anticipation, l’accompagnement, la prévention. Anticiper, comme je le disais, c’est dialoguer avec ses partenaires, c’est se donner d’outils de pilotage. Le chef d’entreprise, dès la création, il faut qu’il ait son tableau de bord, son provisionnel de trésorerie. L’accompagnement, c’est pareil. À la création, au cours de vie, se faire accompagner par les chambres consulaires, la Banque de France, les chambres des métiers et toutes les structures qui peuvent exister. Et puis la prévention, c’est déjà avoir ces outils de détection, d’identifier la difficulté. Et après, aller auprès des… des professionnels qui peuvent trouver ces solutions. Donc, anticipation, accompagnement, prévention, je crois que c’est les trois mots clés. Et pour moi, le plus important, anticipation. Je disais tout à l’heure, les difficultés, ce n’est pas simplement la procédure collective. Et donc, l’anticipation, c’est traiter les sujets dès la création de l’entreprise. Je fais une parallèle avec un banquier. Le banquier, le jour où il prête à une entreprise, il sait qu’en moyenne, il va perdre 4,4 % de son crédit. En moyenne. Ça ne veut pas dire sur toute entreprise. C’est pareil, quelqu’un qui crée une entreprise, à un moment donné, il aura des difficultés. Donc il est important qu’il se dote des outils, de l’accompagnement dès qu’il le crée. On a un système en France qui favorise la création. On a un million de créations d’entreprises par an depuis 2022. 600 000 auto-entrepreneurs, pour moi, c’est des chefs d’entreprise. Beaucoup disparaissent, ils font partie des radiations volontaires. Mais voilà, ces chefs d’entreprise, il n’y a pas de permis d’entreprendre. Il y a un permis de conduire, il y a un permis de chasse, il n’y a pas de permis d’entreprendre. Donc il est important qu’ils soient en capacité de gérer l’entreprise. Il ne suffit pas qu’ils soient bons dans leur activité qu’ils développent, normalement, et ça ils le sont, parce qu’ils ont créé leur entreprise. Par contre, on ne s’improvise pas gestionnaire. Donc se faire accompagner, utiliser les outils qui existent, c’est vraiment extrêmement important, et dès la création.
Est-ce qu’on peut d’ailleurs retenter une aventure entrepreneuriale quand on a… connu un échec, qu’on a fait faillite par exemple, hors faute de gestion volontaire ?
Frédéric
Oui, on peut, on doit. Il y a des structures, ce qu’on appelle le portail du rebond, qui réunit différentes associations, Second Souffle, 60 000 rebonds, etc., qui sont là justement pour aider les chefs d’entreprise. Après, la difficulté, c’est pour ça que la ministre Olivia Grégoire avait demandé ce rapport à Hélène Bourboulou, qui a été remis il y a quelques semaines. Il y a ce sentiment d’échec, il y a déjà les termes qui posent problème. Commencez par le tribunal de commerce. On dit aux chefs d’entreprise, venez dans les procédures, venez au tribunal. Le tribunal, dans l’imaginaire, c’est pour juger, etc. Alors que là, au contraire, le tribunal de commerce, il est là pour aider. J’étais au congrès des administrateurs judiciaires l’été dernier, il y avait David Douillet qui était là, et puis à la fin de son… qui faisait une intervention un peu dynamique, puis à la fin de son intervention, il se tourne, il est chef d’entreprise. je vois l’administrateur judiciaire et mandataire de justice. Ça fait peur. Donc, on a toute une terminologie, et c’est ce que mentionne le rapport d’Hélène Bourboulou, déjà qui, psychologiquement, je dirais, ne favorise pas cela. Et puis après, vous avez effectivement un chef d’entreprise qui a connu des problèmes. Derrière, le banquier va être moins enclin à financer une nouvelle entreprise parce qu’il y aurait eu un échec. Donc, c’est vrai qu’il y a tout un travail qui est nécessaire, et c’est les propositions de ce rapport. pour finalement valoriser ce qui est important. C’est qu’au départ, on a quelqu’un qui a pris une initiative, qui a créé une entreprise, qui a une volonté. Et donc, c’est quelque chose de positif. Après, il y a ceux qui ont commis des erreurs. Puis après, il y a ceux, ils n’ont pas eu de chance. J’étais hier à Châteauroux. J’ai rencontré des chefs d’entreprise. Ils ont ouvert leur commerce en février 2020. Puis en mars 2020, ils étaient fermés. Voilà, ça, ils ne pouvaient pas prévoir. À un moment donné, il y a des événements qui font que le chef d’entreprise a des difficultés qui peuvent conduire à l’arrêt de l’activité. Ce n’est pas pour ça que nécessairement c’est un mauvais chef d’entreprise. Il est important d’avoir aussi un écosystème qui favorise cette capacité à recréer, reprendre des entreprises.
Parfait, merci beaucoup. Voilà, c’était très intéressant de mon point de vue. J’espère que ça a été pour tout le monde. En tout cas, j’ai appris énormément de choses. Merci beaucoup
Frédéric
Merci à vous.

Rédigé par Juliette Barboux
Juliette, Community Manager, en charge de la production marketing et de la communication digitale & physique.