Cet article analyse l’impact des créations et fermetures d’établissements sur les valeurs des fonds de commerce[1] depuis le début de la crise liée au covid-19, soit depuis début mars jusqu’à fin août 2020. Il propose également une analyse des scénarios possibles quant à l’évolution probable de ces valeurs au cours des mois qui viennent.

L’analyse se focalise sur les secteurs de proximité qui regroupent principalement des petites et moyennes entreprises (TPE/PME), à savoir les secteurs du commerce (alimentaire et non-alimentaire), de la restauration et l’hôtellerie ainsi que de l’artisanat (services & BTP).[2]

Pour estimer l’impact de la crise actuelle, nous avons étudié l’évolution d’une série d’indicateurs au cours de deux périodes correspondant à deux phases distinctes de la crise actuelle :

    1. Période du (premier) confinement  : mars, avril, mai
    2. Période du (premier) déconfinement : juin, juillet, août

Afin d’appréhender cet impact, nous comparons les données observées au cours de ces périodes en 2020 avec celles qui avaient été observées sur les mêmes périodes en 2019.

Quel est le lien entre les créations, les fermetures d’établissements et les cessions de fonds de commerce ?

Les créations et les fermetures d’établissements constituent des indicateurs de l’offre et de la demande de fonds de commerce.

  • Pourquoi les créations d’établissements sont un indicateur de la demande de fonds de commerce ?

Lorsqu’un établissement est créé, celui-ci peut développer une nouvelle activité (ex nihilo) ou s’appuyer sur la reprise d’une activité existante. La reprise d’une activité existante peut être réalisée suivant différentes modalités comme par exemple le rachat de l’établissement en question via ses part sociales ou ses actions (ce qui n’entraine pas forcément une création d’établissement[3]) ou, et c’est notamment le cas pour les secteurs analysés dans cet article, à travers le rachat d’un fonds de commerce. Dès lors, si la totalité des créations ne se traduit pas forcément par des reprises de fonds de commerce, ces deux notions sont intimement liées.

  • Pourquoi les fermetures d’établissements constituent un indicateur de l’offre de fonds de commerce ?

La fermeture d’un établissement peut être effectuée dans plusieurs cas de figure. Elle peut être subie en cas de difficultés financières (faillite) ou personnelles (invalidité, mésentente entre associés, etc.). Elle peut également être planifiée s’il s’agit d’un départ à la retraite ou d’un changement d’activité. Là encore, si la totalité des fermetures n’a pas forcément donné lieu à une cession de fonds de commerce, ces deux notions sont intimement liées. Toutefois, les conditions de la fermeture auront un impact sur le niveau prix de vente. En effet, une vente lors d’une procédure collective (liquidation judiciaire) pourra résulter dans un niveau de prix inférieur (du fait d’une interruption de l’activité par exemple).

Quel a été l’impact de la crise sur les créations et les fermetures des TPE de proximité ?

Les graphiques ci-dessous montrent le nombre d’établissements créés et fermés au cours des deux périodes analysées (de mars à mai d’une part et de juin à août d’autre part) :

Analyse de l’évolution des créations

  • La première constatation n’est en rien une surprise : le nombre de créations entre mars et mai 2020 est en recul de 43% par rapport à la même période en 2019 (76 214 en 2019 contre 43 185 en 2020).
  • Au cours de la deuxième période analysée (juin à août), les créations observées en 2020 s’établissent pratiquement au même niveau qu’en 2019 (66 360 en 2019 contre 64 850 en 2020).
  • Si l’on pouvait s’attendre à une forte réduction du nombre de créations durant la période de confinement, force est de constater qu’il n’y a pas eu d’effet de rattrapage durant la période du déconfinement. Au total, le nombre de créations sur l’ensemble des deux périodes (de mars à août) est en recul de 34 500 unités en 2020 par rapport à l’année précédente (142 574 créations en 2019 contre 108 035 en 2020).

Analyse de l’évolution des fermetures

  • L’analyse du nombre de fermetures est plus inattendue. En effet, si les fermetures ont connu une baisse encore plus significative que les créations pendant le confinement (47% de fermetures de moins qu’en 2019), cette tendance s’est prolongée sur la période du déconfinement avec une diminution de 24% par rapport à l’année précédente (42 484 fermetures en 2019 contre 32 337 en 2020)
  • Il semble donc que les différentes aides et mesures prises par les institutions publiques (Prêt Garanti d’État, chômage partiel, délai ou report d’échéances fiscales et sociales) aient permis aux TPE des métiers analysés de survivre à la perte quasi-complète de chiffre d’affaires subie de mars à mai 2020 (découvrez plus de détails sur l’impact de la crise sur le chiffre d’affaires des TPE sur notre blog et nos infographies sur LinkedIn).[4]

Analyse de l’évolution du stock net d’établissements

  • Au global, le nombre total[5] d’établissements actifs dans les secteurs analysés s’établissait à environ 2,54 millions à fin août 2020, soit une hausse totale de 58 000 unités entre mars et août 2020.
  • L’accroissement du nombre d’établissements actifs observé sur la période totale en 2020 est en retrait de 8% par rapport à l’accroissement observé en 2019. Toutefois, l’impact de la crise sur cet indicateur était plutôt modeste à fin août 2020.

Comment le nombre des ventes de fonds de commerce et leurs prix ont-ils évolués au cours de la crise ?

Le graphique ci-dessous présente le nombre de cessions de fonds de commerce au cours des deux périodes analysées :

  • Là encore sans surprise, l’évolution du nombre de cessions de fonds de commerce suit la tendance observée pour les créations et les fermetures avec une forte baisse entre mars et mai 2020 (environ -50% par rapport à la même période en 2019) et une réduction de cet écart pendant la période de juin à août (environ – 13% en 2020 par rapport à 2019).
  • Il est intéressant de noter que l’évolution des cessions de fonds de commerce est cohérente avec le postulat selon lequel elles sont corrélées à l’évolution des créations et des fermetures d’établissements.

Le graphique suivant présente les prix médians observés au cours des deux périodes analysées :

  • On observe que les prix médians (exprimés en €) des fonds de commerce sont restés quasiment inchangés sur ces deux périodes avec même une légère augmentation au cours de la période du confinement par rapport à la même période en 2019.
  • A la fin du mois d’août 2020, la crise liée au covid-19 n’avait pas (encore) eu, un impact majeur sur la valeur des cessions (exprimée en €).
  • Ce status quo des prix peut être expliqué par plusieurs facteurs :
    • Au niveau global, l’évolution des créations et des fermetures n’a pas créé de déséquilibre majeur entre l’offre et la demande. En effet, les créations et les fermetures se sont contractées puis accrues de manière symétrique laissant ainsi les prix inchangés.
    • Il est également possible que les prix sur des transactions engagées au moment du confinement n’aient pas été remises en cause
    • Cette stabilité s’explique aussi peut-être par le fait que les acquéreurs tablent sur un retour à un niveau d’activité normal à court ou moyen terme
  • Sur le plan technique, les niveaux de chiffre d’affaires s’étant effondrés au cours de la période de confinement (cliquez ici pour accéder aux analyses mensuelles de l’évolution du chiffre d’affaires des TPE par l’observatoire FCGA & Atometrics), de manière assez paradoxale (et toutes choses étant égales par ailleurs) la valorisation des fonds de commerce exprimée en divisant le prix de cession par le chiffre d’affaires 2020 montrera probablement une appréciation qui devra être mise en perspective dans ce contexte particulier. Par ailleurs il est également probable qu’une partie des cédants ayant la possibilité d’attendre décident de repousser la cession de leur fonds de commerce pour la réaliser sur des bases (de chiffre d’affaires et de marge) plus favorables.

Sur la base de ces observations, peut-on tirer des enseignements concernant l’évolution des prix pour les mois qui viennent ?

Si l’on retient le principe économique selon lequel la modification des prix reflète l’évolution du rapport entre l’offre et la demande, l’évolution du nombre de créations et surtout de fermetures pourrait influer sur le nombre et les prix des cessions de fonds de commerce.

Or, de nombreux observateurs prédisent une très forte augmentation du nombre de fermetures pour cause de faillite dans les mois à venir. Ces craintes ont d’ailleurs été accentuées pour la plupart des secteurs étudiés dans cet article par la mise en place d’une deuxième période de confinement.

L’un des indicateurs avancés permettant d’anticiper l’évolution du nombre de liquidations est l’accélération du nombre de jugements d’ouverture pour des procédures collectives. L’analyse de cet indicateur pourrait nous permettre de prévoir le nombre de liquidations dans les mois à venir et, par là même, l’évolution de l’offre des fonds de commerce.

Le graphique ci-dessous présente l’évolution des jugements d’ouvertures de procédures collectives, (potentiel indicateur des futures liquidations) :

  • La diminution du nombre de nouvelles procédures collectives entre mars et août 2020 [6] (-48% par rapport à la même période en 2019) est plus importante que la baisse du nombre de fermetures (-36%) ou que celle du nombre de cessions de fonds de commerce (-32%).
  • Si l’on part du principe que les jugements d’ouverture de procédures collectives d’aujourd’hui constituent un indicateur avancé des liquidations de demain, la grande vague annoncée des fermetures n’était pas (encore) imminente fin août 2020.
  • Toutefois, il est important de ne pas se tromper sur la cause de la diminution du nombre des nouvelles procédures collectives. Si ces dernières étaient simplement repoussées du fait des aides accordées par l’État ou d’un fonctionnement ralenti des tribunaux, un rattrapage serait là-aussi possible. Il se traduirait alors par une augmentation significative de l’offre par rapport à la demande de fonds de commerce et pourrait entrainer une baisse des prix à court et moyen terme (d’autant plus que les cessions réalisées dans le cadre de procédures collectives sont a priori réalisées dans de moins bonnes conditions que lorsqu’elles sont planifiées).
  • Dans un scénario plus optimiste, les aides accordées par l’État pourraient peut-être permettre à certaines sociétés en difficulté de ne pas fermer. Le rattrapage anticipé pourrait aussi se faire de manière plus progressive avec le maintien d’aides dans le temps et le redémarrage des créations une fois la crise terminée. Dans ce cas de figure, le niveau général des prix des fonds (pris dans leur ensemble) pourrait se maintenir avant de connaître une baisse plus modérée et moins rapide que dans le premier scénario[7].
  • Quel que soit le scénario observé, il est fort à parier que la fourchette des niveaux de valorisations (exprimés en pourcentage du chiffre d’affaires ou de la marge) s’agrandisse entre :
    • D’une part, les fonds de commerce les plus impactés par la crise et/ou dont la qualité était déjà remise en cause (du fait du développement des plateformes digitales de livraison par exemple) qui auront du mal à trouver preneur, et
    • D’autre part, les fonds de commerce premium (emplacements très passants taille suffisante, clientèle récurrente, baux favorables, etc.) dont la valeur pourrait s’apprécier en raison de la sécurité qu’ils apportent.

Dans ce contexte, la réalisation d’une analyse minutieuse et exhaustive des caractéristiques du fonds de commerce, des niveaux de prix observés sur les transactions récentes, de l’évolution du marché local (concurrence, dynamismes, flux) et de la conjoncture générale du secteur d’activité à court et moyen terme seront indispensable pour se prononcer sur une valeur.

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[1] Le fonds de commerce regroupe l’ensemble des éléments acquis nécessaires à l’exercice d’une activité commerciale. Il est composé d’éléments incorporels (comme la clientèle ou le droit au bail) et d’éléments corporels (comme le stock, les marchandises ou les équipements).

[2] Nos analyses utilisent des données des sources officielles et vérifiées. Dans le cadre de cette études nous nous appuyons sur les informations issues de la base SIRENE et les annonces publiées dans le BODACC. La création (fermeture) d’un établissement correspond à l’apparition (la disparation) d’un nouveau (ancien) numéro Siret dans le registre d’établissements de la base SIRENE. Cette définition comprend donc les créations ex-nihilo et exclut les changements d’activités par exemple. Si vous souhaitez avoir plus d’information sur nos sources, les approches et méthodologies utilisées, nous vous prions de nous contacter directement par email à l’adresse suivante : contact@atometrics.com

[3] Il est important de préciser que le rachat d’un établissement (via une cession de ses parts sociales ou de ses actions), qui est l’une des modalités de reprise d’une activité existante, n’entraine pas automatiquement la création d’un nouvel établissement (holding par exemple) ni la fermeture de l’établissement ayant fait l’objet de l’acquisition.

[4] D’autres facteurs doivent également être pris en compte dans l’analyse de ces évolutions, mais leur impact sur ces conclusions ne peut être appréhendé avec précision à ce stade : fermeture des tribunaux de commerce au cours du confinement, décalage résultant du temps de traitement des dossiers de créations et de fermeture, traitement potentiellement plus rapide des créations que des fermetures, etc.)

[5] Précision : l’évolution des établissements actifs par secteur inclut les établissements dont l’activité a été modifiée au cours de la période analysée ceci explique la légère différence avec le montant net entre le nombre des créations et le nombre de fermetures.

[6] Les ouvertures incluent les jugements suivants : Jugement d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, Jugement d’ouverture d’une procédure de sauvegarde, Jugement d’ouverture de liquidation judiciaire, Autre jugement d’ouverture

[7] Étant donné l’évolution actuelle de la situation sanitaire et les réglementations de re-confinement, cela va également beaucoup dépendre des nouvelles mesures de soutiens prises par l’état pour les secteurs les plus concernés.